Industrie pornographique : Sylvie Pierre-Brossolette (HCE) dénonce un "massacre à but lucratif"

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par Maxence Kagni, le Mercredi 15 novembre 2023 à 17:30

La présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a présenté, mercredi 15 novembre, aux députés de la commission des lois les conclusions du rapport "Pornocriminalité : mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique". L'ancienne journaliste en a, en outre, critiqué la stratégie du gouvernement s'agissant du contrôle de l'âge sur les sites Internet proposant des contenus pour adultes.

Des "femmes broyées, massacrées". La présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE), Sylvie Pierre-Brossolette, a présenté mercredi 15 novembre, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le rapport "Pornocriminalité : mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique", publié le 27 septembre dernier. L'ancienne journaliste, qui veut mettre un terme à un "massacre à but lucratif", a décrit une industrie aux pratiques "absolument monstrueuses" et évoqué la nécessité de "réguler" strictement l'espace numérique.

Loin du "porno de papa"

Face aux députés, Sylvie Pierre-Brossolette a commencé son exposé en reprenant les chiffres donnés par la procureure de la République à Paris, Laure Beccuau, lors de son audition au Sénat, en juin 2022 : "90% des vidéos pornographiques contiennent des violences qui relèvent du code pénal." La présidente du HCE, qui a nié vouloir "interdire la pornographie", estime nécessaire de "lutter contre les illégalités dont elle est porteuse". 

"Il est illégal de porter atteinte à l'intégrité du corps humain", a souligné Sylvie Pierre-Brossolette, citant plusieurs pratiques dégradantes, comme le "prolapse", avec des femmes "tellement abimées qu'elles sont éviscérées, on voit les viscères qui sortent". Selon Sylvie Pierre-Brossolette, "le degré de violence augmente chaque année" pour des "logiques de clics, commerciales", afin de "conquérir toujours de nouveaux adeptes, de nouveaux consommateurs, de gagner plus d'argent avec la publicité". 

Il est illégal de porter atteinte à l'intégrité du corps humain. Sylvie Pierre-Brossolette

En l'espèce, la présidente du HCE attend beaucoup des futurs procès relatifs aux affaires French Bukkake et Jacquie et Michel : "Cela prouvera que ce ne sont pas des élucubrations de spécialistes", a-t-elle expliqué, dépeignant une industrie désormais loin du "porno de papa".

Ces images, facilement accessibles sur Internet, ont des "conséquences pour les jeunes absolument abominables", a-t-elle alerté. "Ils se précipitent sur l'open bar du porno dans les iPhones dès le plus jeune âge, 8-10 ans..." La présidente du HCE s'inquiète face à la "fabrique" de "générations entières de détraqués", allant jusqu'à parler d'une "marée humaine de jeunes détraqués ou traumatisés".

Autre constat effrayant : "85 millions de vidéos de pédopornocriminalité sont diffusées dans le monde chaque année et 30% concernent des enfants de moins de 10 ans", a indiqué l'ancienne journaliste devant les députés. 

Un nouveau rôle pour Pharos ? 

"Il faut continuer à poursuivre les auteurs, les responsables, les producteurs, les violeurs, les organisateurs, tous les complices de cette activité de violence illégale", a préconisé Sylvie Pierre-Brossolette. Mais la présidente du HCE estime que cela ne suffira pas : "Je pense qu'Internet ne peut pas être totalement libre sur des séquences pareilles." Dans son rapport, le Haut Conseil à l'égalité propose de donner de nouvelles compétences à la plateforme de signalement Pharos, afin que cette dernière puisse retirer ou bloquer des vidéos comportant des "atteintes volontaires graves à l'intégrité de la personne". 

L'ancienne journaliste a salué l'adoption d'un amendement socialiste au projet de loi "visant à sécuriser et réguler l'espace numérique" allant dans ce sens. Celui-ci "introduit de nouveaux contenus soumis au contrôle de Pharos : la représentation des actes de torture et de barbarie, ainsi que la représentation du viol". La présidente du HCE met toutefois en garde les parlementaires sur l'utilisation des termes "représentation du viol" : "Il pourrait s'agir de scènes simulées", explique Sylvie Pierre-Brossolette, ce qui pourrait entraîner des confusions avec des scènes cinématographiques qui sont, quant à elles, dépourvues de "violence vraie". La question pourrait être tranchée lors de la prochaine commission mixte paritaire qui aura lieu sur ce texte.

La stratégie du gouvernement questionnée

Évoquant un "rapport très alarmant", Jean-François Coulomme (La France insoumise) a émis des doutes sur la stratégie du gouvernement : "Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique a laissé croire que l'on pouvait faire reposer la protection des mineurs en ligne uniquement sur des dispositifs techniques", a déclaré l'élu, qui estime nécessaire d'insister sur l'éducation à la sexualité durant le cursus scolaire. "Dès qu'une solution technique est mise en place, les possibilités de son contournement émergent très rapidement", a-t-il estimé. 

Une préoccupation assez proche de celle Cécile Untermaier (Socialistes) : "Au vu du nombre de vidéos que vous nous avez données, il est bien évident que la réponse judiciaire ne suffira pas et qu'il faut qu'on travaille [sur] la prévention." Le rapport du HCE propose notamment de "déployer un plan" garantissant la mise en œuvre des "trois séances à l'éducation sexuelle et affective dans toutes les classes"prévues dans la loi depuis 2001.

Sylvie Pierre-Brossolette a elle-même émis des doutes sur la stratégie du gouvernement vis-à-vis du contrôle de l'âge des internautes par les sites pornographiquesLe projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique donne la possibilité à l'Arcom, dans certains cas, de bloquer un site Internet qui laisse des mineurs consulter des contenus pornographiques. Le texte prévoit qu'il reviendra à l'Arcom, après avis de la Cnil, de publier un "référentiel déterminant les exigences techniques minimales applicables aux systèmes de vérification de l’âge". 

"On est parti pour 10 ans de procédure", regrette Sylvie Pierre-Brossolette, qui estime que le référentiel sera "attaqué devant la Cour européenne des droits de l'Homme, la cour de Justice [de l'Union européenne], devant 50 instances". Selon elle, "le temps que tout cela soit éclusé, le référentiel sera obsolète". La présidente du HCE aurait préféré laisser les sites définir eux-mêmes les modalités de contrôles : cela aurait permis de "constater" que leurs méthodes ne "sont pas efficaces" et donc, par conséquent, de "fermer ces sites".